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Gare au « blackface »

by sur 2 juillet 2016

La jeune et talentueuse romancière Fatou N’Diaye n’est pas réputée pour avoir sa langue dans sa poche. Ci-dessous son « coup de gueule » contre un émission de télévision et le « blackface » c’est spectacle mettant en scène des blancs « déguisés » en noirs avec le plus mauvais goût possible.

Je m’appelle Fatou, ça vous pose un problème?

Fatou NDiaye – Auteure du blog BlackBeautyBag – 01/07/2016 07h15 – Le HuffPost:

Il y’a quelques jours une polémique a fait un buzz négatif sur internet. Il s’agissait de l’émission du 22 juin 2016 C’Cauet animée par Cauet himself.

Cette émission est diffusée tout les soirs sur la chaîne TNT NRJ. Invité sur le plateau de celle-ci le chanteur Keen’V a chanté son tube de très mauvais goût avec tout les clichés que l’on connaît déjà « Elle t’a maté « Fatoumata ».

Hélas ce n’est pas tout… Loris Giuliano un des chroniqueurs de l’émission s’est grimé en noir, portant une perruque coupe afro abjecte, loin des majestueux afros que les femmes noires portent.

Il était censé représenter cette « Fatoumata » dont il est question dans la chanson de Keen’V. Nous avons eu le droit à du « blackface » pur et dur sans complexe.

Pour ceux qui ne savent pas ce qu’est le blackface, je vous invite à lire cet article =>ICI ou celui-ci => ICI.

C’est un acte raciste que je condamne. Être noir, ce n’est ni un déguisement ou quelque chose de drôle. On l’oublie souvent mais être noir en Occident c’est être confronté à des choses qu’il faut vivre au quotidien pour saisir leur gravité.

J’entends déjà des personnes me dire que j’abuse, j’aimerais qu’il en soit autrement mais c’est une réalité qu’il faut dénoncer. Après tout ne dit-on pas qu’il faut porter les souliers d’une personne pour savoir pourquoi elle a du mal à marcher? Je pourrais débattre des heures sur la question du blackface mais la raison qui m’a poussé à écrire ce post est tout autre.

Lorsque la polémique a enflé, j’ai été taguée sur beaucoup de publications FB, TWITTER, INSTAGRAM. J’ai reçu des messages privés également. Apres avoir visionné la dite vidéo, j’ai choisi de ne pas la partager sur la page Facebook de mon blog. Pour la simple et bonne raison que « NOUS », femmes et hommes noir(e)s sommes coupables et complices de ce qui s’est passé sur ce plateau.

J’avais poussé un coup de gueule sur twitter envers ceux et celles que je juge coupables d’avoir rendu mon prénom insultant aux yeux de tous.

Le prénom Fatou a plusieurs déclinaison comme Fanta, Fatoumata, Fatimata, Fatoumatou et Fatim chez les africains de confession musulmane des pays d’Afrique de l’Ouest en général. Fatou est l’équivalent de Fatima chez les Arabes.

Pour faire un bref condensé, Fatima Zahra, était le prénom de l’une des filles du prophète Mohamed. Elle était sa fille préférée qu’il surnommait « la reine du Paradis ». C’est un prénom très respecté dans l’Islam, mais pas que. Derrière ce prénom se cache tout un symbole comme l’est celui de Marie chez les chrétiens. C’est pour cette raison que dans les familles musulmanes l’aînée ou une des filles portent souvent ce prénom de Fatou / Fatima. Je vous invite à vous documenter et à découvrir tout cela.

La première fois que j’ai été confrontée à une moquerie sur mon prénom, j’étais en classe de CP. Je m’en souviendrai toute ma vie. Il y’avait eu une rediffusion d’un célèbre film français de l’époque. Nous étions en 1984, et sur TF1 passait le film « Le coup du parapluie » avec l’acteur Pierre Richard.

Jusque là pas de quoi fouetter un chat. Le lendemain à la récréation, des élèves de ma classe se sont mis à chantonner une musique du film en la revisitant avec mon prénom: « FATOUMATOU LE RAGOUT DE MON TOUTOU J’EN SUIS FOU ». Ceux qui sont nés à la même époque que moi sauront à quoi je fais référence, sinon voici le lien en question: ICI.

Je me souviens avoir regardé mes camarades et ne pas avoir compris sur le coup, mais je leur avais dit de ne plus chanter mon prénom car je ne ressemblais pas au chien de cette publicité du film. Déjà enfant je ne me laissais pas faire, et c’est ce qui m’a beaucoup aidé je pense.

Rentrée à la maison, j’ai raconté cette aventure à ma mère. Comme quoi, on a beau dire, mais la construction et la confiance en soi s’acquièrent dès le plus jeune âge grâce à la bienveillance des parents. C’est alors que ma mère m’a expliqué la signification de mon prénom et ce pourquoi mon père et elle avaient choisi de me nommer ainsi.

Dès lors j’ai su que mon prénom était beau et que je le portais à merveille. Je ne m’appellais pas Stéphanie, Béatrice ou Mélanie ou n’avait pas un prénom à l’américaine, je n’étais pas blonde aux yeux bleus avec des cheveux lisses, mais j’avais le prénom d’une grande femme respectée dans ma communauté depuis des siècles.

C’était tout ce qui m’importait car je n’avais pas besoin de l’aval de mes camarades pour aimer mon prénom. Le plus important était de savoir pourquoi on me l’avait donné et surtout d’être fière de le porter.

Quelques années plus tard, en devenant adulte et plus tard maman, j’avais observé un autre phénomène dont nous avions tous été les témoins, lorsque le film  » Fatou la malienne » a été diffusé sur nos écrans, il a été le point de départ pour stigmatiser ce joli prénom : Une Fatou c’était une fille excisée issue d’une famille rétrograde qui voulait la marier de force.

« Fatou » était devenu le qualificatif péjoratif pour nommer ces filles noires dont la caricature ferait penser au film « Bande de filles ».

La « Fatou » est une fille noire mal éduquée, qui crie dans la rue, qui a un look vestimentaire désastreux. Si vous cherchez la « Fatou » il faut aller du côte des cités, de Châtelet les Halles ou de gare du Nord.

La « Fatou » est crade, elle sent pas bon, et elle a un teint très foncé, son tissage ressemble à une vieille queue de raton laveur, elle parle comme un mec et en plus si ton regard a le malheur de croiser le sien, elle et ses copines se chargeront de te refaire le portrait illico presto. Le FFF clan (Fatou Flinguée Fâchée) ou niafou marche en gang.

La « Fatou » c’est la bonne à tout faire, c’est la jeune fille que l’on voit passer dans la rue et que l’on va traiter de moche. C’est la petite de la cité que les grands vont apostropher pour aller leur faire des courses ou passer un message.

Quelle est cette manière de stigmatiser les femmes et les jeunes filles noires quand on est soi-même noir? Quelle est cette façon humiliante de nous déshumaniser et nous catégoriser?

Arrêtez de nous croire insensibles ou invulnérables face à de telles propos. Contrairement à ce que vous pensez, les filles et femmes noires sont comme toutes les autres femmes, elles demandent le droit au respect, l’amour et de la considération. Sous prétexte d’être labellisées « FEMMES FORTES »( terme que je n’aime guère ), nous devons prendre des coups de tout les côtés sans mots dire?

Soyons sérieux deux minutes….. Dans toutes les communautés, que l’on soit noir, blanc, asiatique, indien, arabe ou chinois, il y’a du bon comme du mauvais. Mais à mon grand regret, je remarque avec tristesse que ma communauté est celle qui a le moins de respect pour ses femmes, soeurs ou mères et qui le distille sur les réseaux sociaux. Comme ce fameux hashtag lancé par un jeune noir #toutestnoirsaufmameuf. D’ailleurs après le tollé que cela a créé il s’est excusé mais bon, la pilule n’est pas passée.

C’est marrant deux minutes les moqueries, mais après STOP!! Les blagues les plus courtes sont les meilleures, la surenchère est pour moi un manque d’imagination et cela devient de l’acharnement.

Tout les milieux sociaux ont leur lot de filles et garçons qui ne sont pas des modèles de vertu, même dans la bourgeoisie, aristocratie et chez les bobos il y a aussi une jeunesse à la dérive que l’on ne montre pas parce que l’argent lave tout et ça rend propre n’est ce pas?

J’aimerai comprendre comment des personnes qui vivent quotidiennement le racisme, la stigmatisation et les clichés peuvent elles même véhiculer une telle image à l’encontre des femmes de leur communauté ? Car non ce n’est pas parce que vous êtes noirs comme moi que je vais trouver votre comportement acceptable et cool, bien au contraire vous êtes les premiers qui normalement devraient nous protéger.

Donc on prend un prénom, et on décide d’en faire un mot vulgaire symbole de ces jeunes femmes noires en pleine construction et recherche d’identité? En plus la plupart du temps ces filles sont collégiennes ou lycéennes qui lorsqu’elle rentrent à la maison redeviennent des petites filles aimantes et bien éduquées. Je ne les défend pas ces filles sans savoir vivre qui ne s’appellent d’ailleurs pas toutes Fatou. Mais il faut revoir le contexte social dans lequel elles vivent.

Elles portent un masque dans la rue et en groupe pour exister, mais elles ne sont pas condamnées à rester ainsi ou à l’échec. Si l’on s’amusait à retrouver des photos de la jeunesse de certains, je mets ma main à couper qu’on en rirait pendant des heures.

Désolé pour ceux qui pensent ainsi, mais j’ai grandi et vécu en cité pendant presque 18 année de ma vie, et des filles noires qui s’expriment correctement, qui ont un bagage scolaire et des diplômes et un bon métier, il y’en a à la pelle, et c’est valable pour toutes les filles issues de banlieue sans distinction de couleur ou religion d’ailleurs.

Sauf que personne n’en fait état. Qui s’intéresse à ces jeunes filles ou femmes? Ni la télé, ni les reportages ou magazines et même pas leur semblables. Mais on préfère mettre en lumière la mauvaise graine pour dire que toutes sont ainsi. Quand -est ce que nous allons comprendre qu’amuser la galerie et les médias ne fait que de nous enfoncer puisqu’ils se nourrissent également des clichés pour parler de nous?

Je ne compte pas le nombre de fois où des hommes et femmes noir(e)s ont été étonnés en m’entendant m’exprimer lorsqu’ils ont su que je m’appelais « Fatou ».

« Oh, mais tu ne ressembles pas à une Fatou, tu ne t’habilles pas comme une Fatou ».
Pour moi ça n’a rien de flatteur de me faire de telles remarques en pensant me faire plaisir. C’est très insultant et du même niveau de manque de correction que de dire à une femme noire :  » Vous êtes belle pour une africaine/ pour une noire ».

Grosso modo, lorsque tu es noire et en plus africaine, l’éloquence, la beauté, l’intelligence et le savoir-vivre sont des choses qui ne font parties de ton éducation ? En 2016, il y’a des gens de toute origine qui pensent que l’on peut se permettre d’avoir de tels propos et sont étonnés que l’on se fâche. Il faut savoir que sur twitter et d’autres RS, si tu es noire, et que tu dis ce que tu penses en dénonçant racisme, misogynie et sexisme, on te qualifie d’afro féministe.

Personnellement, je le prends comme un honneur, et j’ai envie de dire à ces gens là, que les femmes peuvent réfléchir par elles mêmes. Nous n’attendons ni la permission ou la bénédiction d’autrui pour exprimer nos ressentis ou pensées. Une femme est un humain comme un autre. On est resté trop longtemps muettes et vous vous êtes habitués à croire que l’on pouvait tout encaisser et que cela ne nous atteignait pas. Ne vous méprenez pas, le silence raisonne parfois plus que le bruit car c’est une souffrance qui s’intériorise et qui détruit à petit feu.

Pour en revenir à mon prénom, nombreuses sont les filles qui en ont honte. Pour elles le porter est devenu un fardeau. En débattant sur le statut d’un contact fb qui m’avait marqué sur le blackface et la moquerie du prénom Fatoumata, j’ai exprimé les mêmes choses dont je vous fait part à l’écrit.

Et une fille m’a répondu que les prénoms européens féminins et les femmes blanches étaient également moquées dans les chansons ou à la télé, du coup qu’on se moque d’une Fatou c’était pareil. A cela, je lui ai répondu ne pas être d’accord, tout simplement parce que ces femmes blanches moquées et ridiculisées n’ont pas à se battre contre les mêmes choses que nous. Elles font parties d’une société faite par leurs semblables et pour eux.

Nous autres des le plus jeune âge, on nous a dit qu’étant noir il fallait travailler deux fois plus pour être meilleur dans une société éthnocentrée. Alors si en plus de tout ces bagages à porter il faut aussi se battre contre les siens, on a pas fini!

On se moque des blondes dans les chansons, ok… On dit qu’elles sont stupides, futiles et faciles.. Mouais, certes et surtout c’est encore du sexisme que de penser cela. Mais ce qu’on oublie de dire c’est que ces blondes ne seront pas discriminées du fait de la blondeur de leurs cheveux ou de leur QI. Elles auront plus facilement accès à un logement ou un travail. Je commencerai à rire des railleries sur les femmes noires quand nous serons sur un même pied d’égalité avec les autres femmes et que nous n’aurons plus à nous défendre contre et envers tous.

La « Fatou » qui symbolise toutes ces femmes ou jeunes filles noires vénales, laides et banlieusardes, elles sont discriminées, et en plus maintenant même les personnes qui ne sont pas noires savent pourquoi on les appelle des Fatou et s’en amusent jusqu’à chanter des chansons ou à les insulter sur les RS. C’est pour ces raisons que je ne cesse de dire qu’il faut faire attention à ce que l’on dit et partage sur les réseaux sociaux et même avec notre entourage et collègues de travail.

La manière dont on se perçoit, c’est ainsi que les autres nous verront. Le respect se mérite, et surtout il se gagne. Donc lorsque on amuse la galerie, que font les gens qui nous observent? Ils pensent souvent qu’il y’a pas de mal et que c’est ainsi que l’on aime rire entre nous. Et ce que je ne tolère pas de quelqu’un qui ne comprend pas ou ne vit pas mes réalités, je le supporte moins venant d’un noir comme moi.

A ces hommes noirs qui sur les réseaux sociaux aiment dépeindre les femmes noires comme étant le mal incarné, il serait temps de vous arrêter. Vous pensez nous nuire, mais au final c’est à vous, vos soeurs, et mères que vous portez préjudices. Vous avez ouvert une brèche qui nous est difficile de fermer. Vous avez permis à des gens qui ne sont pas noirs de penser et dire que les femmes noires sont des moins que rien et que l’on peut leur manquer de respect impunément.

On dit souvent que le premier modèle féminin d’un homme est sa mère, donc votre problème viendrait de l’image que vous avez de vos mamans? (Ne me tapez pas, je m’interroge lol). Cessez de justifier vos choix amoureux en dénigrant vos semblables, l’amour n’a pas de couleur.

A ces pages et bloggueurs en carton qui aiment pondre des articles provoquant des guerres et nous discréditant aussi ça suffit. Demain quand un grand magazine ou site internet va reprendre vos termes et essayer de faire les mêmes articles, vous allez crier au racisme…. Du grand n’importe quoi!

Les articles sur les hommes noirs qui n’aiment pas les femmes noires, ou pourquoi je sors avec une blanche, ou moi femme noire je n’aime pas les hommes noirs, sont pour moi des articles pondus dans le but d’avoir du buzz, des clics et partages. Ils ne sont pas instructifs, il y’a aucune donnée démographique, ni approche qui mène à la réflexion,on en ressort pas grandi, mais insulté. On pond son article, on le poste et on laisse la plèbe se battre dans les commentaires comme des rats de laboratoire.

Je n’ai jamais vu en 13 ans de vie sur la toile des articles pondus par les autres communautés du même niveau de bassesse que ceux à l’encontre des femmes noires.

Quand est-ce qu’on va nous foutre la paix une bonne fois pour toute?

C’est pareil mesdames, les sportifs noirs n’aiment pas les femmes noires, et alors? On s’en fiche, réussir sa vie c’est être avec un footballeur? Non. Apprenez à vous aimer, à vous élever avant de le chercher dans les yeux de personnes qui ne vous regardent pas. Ne prenez pas part non plus à la stigmatisation misogynes des hommes car souvent vs usez des mots et de leurs codes pour critiquer et attaquer les autres femmes noires et je trouve cela triste.

En fait j’en ai vraiment marre de tout cela sur internet. Il serait temps que nous fassions nous même notre propre introspection et que l’on cesse de laisser en héritage à la jeune génération ce genre de bêtise qui ne fait que propager le manque d’estime et confiance en soi.

A toutes ces femmes qui portent mon prénom, n’ayez plus honte parce qu’un prénom c’est comme notre ADN, il est une part de nous. Nos parents ne l’ont pas choisi au hasard ou pour le plaisir. Et des illustres Fatou, il y’en à ne plus savoir quoi en faire, elles sont écrivains, cinéastes, avocats, juges, médecins, institutrices, entrepreneuses, femmes de conviction et j’en passe.

En tout cas j’aime mon prénom que je porte depuis 38 ans et qui m’accompagnera dans ma tombe. Je songe même à tatouer celui-ci sur une partie de mon bras et à chaque fois que l’on me demandera mon prénom je le montrerai (lol). Ce prénom je continuerai à le célébrer tout les jours. Si je puis me permettre, soyez curieux, intéressez-vous à votre culture, vos origines et croyez-moi un grand sentiment de fierté illuminera vos visages. Cessons de croire que tout ce qui a trait aux cultures noires et africaines est loufoque ou sans intérêt. Je ne suis pas en colère mais triste.

Car non je ne suis pas cette Fatoumata dépeinte par ce chanteur opportuniste et ridicule. La Fatoumata que je suis, la seule chose qu’elle cherche à mater c’est l’ignorance des personnes qui tentent de manquer de respect à la femme noire que je suis.

Comme dirait une célèbre chanteuse: « Middle Finger UP »!

Ce billet est également publié sur le blog BlackBeautyBag.

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